D’abord, c’est un haut-le-cœur, un spasme : un frisson d’excitation s’empare de tout mon corps, une seconde avant, et se propage jusqu’au bout de mes doigts, l’instant d’après ; j’ai sauté.

Ensuite, quelques battements de palpitant plus tard, la sensation envolée, me laissant en pleine possession de mes moyens, c’est l’épiphanie : la réalité me rattrape soudain ; je vole. Ou, plutôt, je tombe.

Je suis le jouet de la gravité.

…Quoique : selon le point de vue, sans doute serait-il plus juste de considérer les rôles inversés. Après tout, je suis seule responsable de ce jeu : déclencheuse de la partie, inutile de nier être plus amusée par la chute que ne l’est la gravité. À supposer que le Titan de l’Attraction se soucie, ne serait-ce qu’un peu, de ma petite, ridiculement insignifiante personne. Que suis-je face à l’imposant monde m’attirant à lui ? Au Soleil, massive source de vie ? À la galaxie ? À un trou noir ?…

C’est con, mais, à chaque saut, lorsque le fil de ma pensée s’interrompt, emporté par les sensations, la même idée me vient, constante absolue, hypothèse faisant loi dans mon esprit : et si je me mangeais un piaf dans ma descente ?

Je veux dire, je n’ai quasiment aucun contrôle sur ma trajectoire. Alors oui, l’autre partie du potentiel accident a certainement plus de maîtrise, mais bon, entre sa vitesse, vecteur horizontal, et la mienne, vertical, un carambolage aérien est vite arrivé.

…Cela dit, je ne suis pas sûre de savoir si, dans la région, il existe ne serait-ce qu’une seule espèce de zoziaux voyageant dans la fourchette d’altitudes que couvre ma descente, entre mon saut initial et le déploiement de ma voile ; à méditer, donc.

La chute est presque finie. Encore une fois : mêmes pensées, même tracé ; sous le plein effet de la gravité, mon corps bouge, s’orientant comme il peut face au plancher des vaches, et, pendant ce temps là, dans ma tête… C’est comme une sécurité, un point de sauvegarde vers lequel s’en va mon esprit, instinctivement, pour se protéger d’un effort inutile. Ou d’une réalité.

Je tombe. Mon corps, attiré par la Terre ; mon esprit, happé par l’image d’un obstacle aviaire.

Puis, subitement, tout disparaît : seule face au vide, un nouveau frisson, excitation distincte de la première, appréhension, me parcourt l’échine. Saisir la poignée, détendre ses muscles…

Et tirer.

Frein doux-brutal, ma voile s’ouvre, déployée par l’air que transperce ma descente ; ma vitesse chute, mais moi plus : ralentie, je glisse, entamant la suite de mon voyage. Et Éole, maître des courants d’air, m’y aide agréablement, contrecarrant quelque peu la force de l’Attraction, son souffle soutenant mon aile.

Cui-cui…