File d’attente. Supermarché. Dans les mains : une boîte de céréales au chocolat, un paquet de guimauves violacées, une brosse à dents vert pomme, un caleçon à l’effigie d’un super-héros en collants et un saucisson.

Ça n’a pas besoin d’avoir un sens.

Devant, un couple se dispute. Les deux hommes se braillent dessus. La caissière panique. Ne dit rien. N’arrive pas à en placer une.

Le tapis roulant, croulant sous les produits, est immobile ; la vie est interrompue. Les deux hommes hurlent. La caissière appelle la sécurité.

Un troisième homme. En costume, lui. Il s’interpose. Les adversaires s’indignent. Le monde tressaille.

Le coup part ; un homme à terre. Le sujet de dispute change. Celui des deux encore debout qui a frappé tombe à genoux et poursuit. Adrénaline. L’autre le prend par les épaules. Le tire un peu. Puis pousse.

Trois hommes à terre ; un vigile inconscient, deux clients s’agitant. L’un contre l’autre. L’un affrontant l’autre.

Cris. Mouvements de foule. Sang.

La boîte de céréales est encombrante. Pas lourde. Mais grosse. Sans poignée : pas pratique à porter. Moins que le saucisson pendu au bout de sa corde, en tout cas.

Pourquoi acheter ça ? Il y en a déjà à la maison. C’est gâcher de l’argent. Il y a déjà tout ce qu’il faut, là-bas.

Ça n’a pas besoin d’avoir un sens.

La foule a formé la fosse. Trop près : certaines chaussures ont reçu des projections de sang. Une fois le troisième évacué, les vigiles supplémentaires arrivés saisissent les combattants. Les sépare. Et se prennent quelques coups, au passage.

Soudain, l’un des deux vole son arme au garde le retenant par derrière. Une balle perfore le pied droit de ce dernier.

Chute et hurlement.

Adrénaline.

Le canon se redresse. La foule fuit. On dégaine, ça et là. Autres coups de feu. Un vigile sur les deux encore debout ne s’écroule pas. Les deux hommes sont morts. Une balle chacun ; fin de la dispute.

Le survivant s’approche de son collègue au pied troué. Lui tient son membre percé. Mare de sang.

La caissière… Les caissières sont parties. Le supermarché est désert. Ne reste qu’un vrac de corps sans vie, le blessé plaintif, son héros de l’instant et… Toi.

Impossible de payer ; qu’importe. L’odeur du saucisson est agréable.

Tu portes la viande à tes lèvres. Mords à pleines dents. Mâches. Savoures.

Il est temps de rentrer. Les cadavres sont un peu laborieux à enjamber sans lâcher la boîte de céréales. C’est une bonne offre : deux pour le prix d’une, enveloppées ensemble dans un plastique translucide. Attention aussi à ne pas laisser glisser le caleçon au sol : il serait dommage qu’il vire au rouge.

Deuxième bouchée de saucisson : il est délicieux.

Ah… Le vigile héroïque t’interpelle. Te demande ce que tu fais. Où tu vas. Qu’importe ?

Ton pied gauche tape dans quelque chose : une arme. Cale ton saucisson dans ta mâchoire ; ramasse-la.

Le vigile crie. L’arme est légère… Deux coups : une balle pour lui, l’autre pour l’estropié. Chacun dans le crâne, c’est plus rapide. Silence…

L’arme est simple à porter, glissée dans une poche. Tu reprends le saucisson, toujours coincé entre tes dents. La langue collée dessus jusque là, il t’a fait saliver. Troisième bouchée.

Il n’en restera plus d’ici à ce que tu rejoignes la voiture… Pourquoi en avoir pris ?